DEBAT - PSYCHO LOFT

L'émission Loft Story mise en place par quelques professionnels de l'audiovisuel et jouée plus que vécue par une douzaine de jeunes adultes est plébiscitée par un très large public. Quelles sont les raisons de ce succès ? quels sont donc les fantasmes des téléspectateurs ? Quelles sont les difficultés vécues par les candidats ? En tout état de cause, cet engouement actuel pour ce phénomène attire notre attention sur des comportements et des émotions dont l'analyse permet de mieux cerner l'évolution de la société avec ses nouveaux symptômes et ses quelques espoirs qu'elle peut engendrer.

Cette curiosité suscitée et permise par la high tech, puis légitimée par deux psys de l'émission fait vivre aux téléspectateurs, par personnes interposées, des désirs qui, en d'autres temps, auraient été inhibés et censurés par certains principes moraux (les fantasmes existent bien chez tous, les passages à l'acte beaucoup plus rares sont cependant présents). Le voyeurisme ne s'arrête pas au trou de la serrure, le commérage ne se contente pas de rumeurs.

De tous temps, les parents ont tenté de recueillir des informations sur le comportement de leur progéniture à l'extérieur du cocon familial. Loft Story permet ainsi aux parents des " lofteurs " mais aussi à tous les parents qui identifient leurs enfants à l'un de ceux-ci, d'avoir un œil direct sur leur vie en groupe, sur leurs conquêtes, bref sur leur vie sexuelle. On peut d'ailleurs entendre, après les ébats de Jean-Edouard et de Loana dans la piscine, la mère du jeune Casanova déclarer : " mon fils, en effet, n'a pas été très gentil " et la mère de la pin-up : " je ne croyais pas ma fille si sensible ". Ce que la plupart de ces parents ont envie de savoir, sans oser bien sûr le demander, cette émission le leur apporte sur un plateau, ce qu'ils dégustent avec délectation.

Mais plus encore que les parents, ce sont les jeunes de 15 à 25 ans qui suivent attentivement le comportement des candidats. Ces observations leur servent d'exemples et de repères pour construire leur vie amoureuse qu'ils souhaitent basée sur de nouvelles valeurs et qu'ils préfèrent à celles proposées par leur famille. Les péripéties du loft servent aussi de base de discussion entre amis, entre copains. C'est le dernier sujet à la mode qu'ils peuvent évoquer avec le plaisir d'être reconnu comme branché. En regrettant que cette aventure, offerte au public, soit celle d'un groupe oisif, isolé du monde, dont les activités sont restreintes.

A l'intérieur du loft, les candidats, sélectionnés pour leur bonne sociabilité, leur look mais essentiellement pour leur extraversion, leur capacité à s'exhiber, sont partagés entre enthousiasme et stress. Certains Psychanalystes médiatiques tels que Gérard Miller qui prédit le pire pour les candidats, ou bien encore Kathleen Kelley-Lainé qui pense que ceux-ci sont en voie de psychotisation, tombent eux mêmes dans l'excès médiatique et la dramatisation.

On parle beaucoup dans la presse de régression des candidats. Il serait plus juste de parler de quelques passages régressifs, comme tout le monde peut en vivre lors d'une épreuve, d'un voyage difficile ou lors d'une adaptation dans un milieu inconnu. Cette épreuve est stressante dans le sens où ces jeunes ont coupé tous liens avec leurs proches et surtout qu'ils vivent des blessures narcissiques lorsqu'ils prennent conscience d'avoir montré aux yeux de tous une image dévalorisée d'eux mêmes. La confusion entre vie publique et vie privée ne se fait pas aisément sans déconvenues.

Stimulés par leur soudaine médiatisation qui peut changer le cours de leur vie, par les propositions qui leur seront faites à la sortie du loft, ils doivent pouvoir surmonter ces quelques moments difficiles. Certes, ils vont souvent passer du rire aux larmes mais cette épreuve devrait rester positive pour la plupart d'entre eux. Certains apprendront à mieux se connaître et prendront conscience de leurs difficultés relationnelles qu'ils pourront dépasser seuls ou éventuellement avec l'aide d'un " PSY " s'ils en éprouvaient ultérieurement le besoin.

Cette aventure vécue fera date dans la vie des participants et aura un impact différent selon la personnalité de chacun. Ils apprendront que rien n'est définitif, qu'une décision, qu'une initiative est toujours conséquente et qu'ils peuvent construire leur avenir dans une voie autre que celle que leur prédestinait leur famille. Cette mobilité apporte des jouissances nouvelles, tout ceci peut être facilement entendu par les jeunes téléspectateurs et a véritablement valeur d'exemple.

Le plus problématique de cet évènement réside dans la toute puissance des organisateurs de ce reality show. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les responsables de l'émission ne jouent pas la transparence et s'arrogent des droits excessifs tant sur les participants que sur le public, censurant systématiquement tout ce qui pourrait éventuellement nuire à leur entreprise, passant et repassant toujours les mêmes scènes qu'ils ont jugés positives ou répondant à leurs intérêts, alors que le sens de cette émission aurait été de jouer le jeu de la vérité, même s'il ne s'agit que d'un divertissement.

Gérard VIGNAUX
Psychothérapeute-Psychanalyste
www.psychotherapeute.net